Baron de Coulanges (jusqu’en 1763), seigneur des Tureaux (jusqu’en 1793).
Des confusions de titres.
Attaquons-nous tout de suite à un problème important quant au titre de Marquis dont s’est prévalu, à partir de 1766, notre Gabriel, durant sa vie.
Gabriel reçoit les « Honneurs de la Cour » le 11 mars 1766. Ces honneurs consistent à être présenté à la famille royale (à Versailles) et ensuite à monter dans les carosses du roi (pour la chasse !!!). Pour être présenté, il faut prouver une filiation noble depuis l’an 1400. L’impétrant peut se glorifier du titre optimum de Marquis, même s’il n’est que chevalier ou baron. Les titres de duc ou prince sont réservés à ceux qui sont réellement duc ou prince. Gabriel n’étant que chevalier, seigneur des Tureaux, il est évident qu’il va choisir le titre le plus élevé soit, celui de Marquis.
A notre avis son titre futur de Marquis est usurpé, car nous n’avons trouvé nul part un document du Parlement ou de la Chambre des Comptes sous forme de lettre patente lui octroyant le titre de Marquis de Rochefort. Il était d’usage et de règle que les changements de titres étaient accordés par le roi avec enregistrement de sa décision par le Parlement ou la chambre des Comptes.
On verra plus loin que le fils de Gabriel, François Louis de Rochefort, se donnera le titre de Vicomte de Rochefort, titre aussi usurpé mais apparaissant dans une fiche des Archives de Paris.
Dans son livre « Les marquis Français » (1919), monsieur de Woelmont installe un chapitre intitulé « titres de courtoisie » dans lequel on trouve notre Gabriel de Rochefort-Luçay (tient ! voilà maintenant Luçay accolé à Rochefort ! ). Il précise : « ils peuvent être regardés aujourd’hui comme parfaitement légitimes bien que ces titres (Marquis) fussent personnels et non héréditaires »
Nous laissons le lecteur juge de son choix. Mais la position de M. de Woelmont est-elle partagée ?
Une non-stratégie matrimoniale.
Gabriel est né en 1732 à Brinay (18), commune située prés de Coulanges (sans doute au manoir des Champs). Il ne reçoit aucune éducation particulière de la part de ses parents comme cela est l’usage chez les Rochefort et ne fréquente aucune école militaire. Mais les lettres que nous avons de ce personnage montrent qu’il savait parfaitement le français et disposait d’une assez belle écriture. On peut douter que ces seuls baggages lui permettent d’administrer sa « fortune » de façon régulière et heureuse. Il semble même que Gabriel est plutot mené une vie désordonnée puisqu’on le retrouve dans un cabaret de Bourges dont il est expulsé avec perte et fracas.
Néanmoins, il se marie par contrat devant le notaire Autron à Aubusson, à 26 ans avec Marie Anne de SARRAZIN-LAVAL, 30 ans, le 25 avril 1759 au Château des Portes à Mainsat (23).
Marie Anne est la fille de Henri Marin de SARRAZIN, chevalier, Marquis des Portes et comte de Laval et de Catherine de la SAIGNE de SAINT GEORGES.
Le 12 janvier 1761 une sentence accorde le profit d’un retrait lignager à Gabriel de Rochefort comme tuteur de son fils Réné Philibert pour la seigneurie du Courbat (paroisse du Péchereau-36). Il semble que les dettes accrochées au Courbat étaient telles que Gabriel ne rentra jamais en possession de ce bien1.
Une déchéance consommée.
Comme les fonds manquent, Gabriel va se séparer de la magnifique terre et seigneurie de Coulanges le 31 octobre 1763 devant Ragueau notaire à Mehun sur Yèvre (copie de l’acte entre nos mains). Coulanges est vendu pour 75 000 livres à Louis de PLUSQUELLÉ (ou PLUSQUELLEC), capitaine à Mahé aux Indes françaises et dont la famille est originaire de Bretagne. La terre de Coulanges représentait une superficie d’environ 2000 ha, dont le seul bois de la Villeterie (ou Vitalerie) pour 168 ha.
Sont vendus en même temps que Coulanges :
- Le fief et manoir des Champs (ou Petit Champs) relevent de Brinay (18). Ce bien venait des Agard puis des Maudhuit.
- Les droits de sépultures en la chapelle de Lury.
- La locature et les héritages acquis de la veuve Jousselin de Noray (née Agard) par acte SSP fait entre Pierre de Rochefort et son épouse et la dite veuve le 13 septembre 17422
Il est intéressant de noter la façon dont seront payés ces 75 000 livres :
11 000 L. déjà payés comptant.
- 41 000 L. à payer sur ce qui est dû à Plusquellec, de la Compagnie des Indes (Lavant, notaire à Paris, septembre 1763).
- 23 000 L. en rente de 1150 L. dont le premier terme est fixé au 1/01/1765.
Nous nous posons la question du paiement des 64 000 L. En effet, Tausserat (Histoire de Lury sur Arnon) nous dit que le 18 juin 1764, Plusquellec est saisi à la requête de Vincent Fontaines, marchand à Mehun sur Yèvres. Malgré le paiement de la dette la veuve de Plusquellec, Catherine de Beauchène, est obligée de vendre Coulanges le 20 juin 1768 à Edme Jean François de Boisselet, ancien mousquetaire. La Compagnie des Indes a t elle payé Plusquellec ? La rente a t elle été payée à Gabriel ? Nous n’avons aucune réponse certaine à donner. Mais, à notre avis Plusquellec n’a jamais payé à Gabriel quoi que ce soit. En fait Plusquellec pourrait être assimilé à un quasi escroc. Gabriel n’avait aucun moyen financier pour entreprendre une procédure, longue et coûteuse de récupération des sommes dues. Cela expliquerait les énormes difficultés financières présentes et futures.
Pour se loger, Gabriel rejoindra le manoir des Tureaux, commune de Lury sur Arnon (18). Cette résidence des Tureaux venait, par succession testamentaire, de Louise AGARD, sœur de la mère d’Angélique Mauduit, morte sans enfants. C’est le frère ainé d’Angélique, Philibert Mauduit qui en avait pris possession. N’ayant lui aussi pas d’enfants, naturellement, à son décès, c’est son neveu Gabriel Jean Dominique de Rochefort qui en prit possession.
Mais, comme d’habitude, les fonds manquent et Gabriel va vendre les Tureaux vers la fin de 1793 à Charles DORSANNE seigneur de Saragosse (paroisse de Lury , Cher).
Nous ne savons rien du lieu de résidence après 1793. Le décès de Gabriel aura lieu le 20 novembre 1816 à l’hospice municipal de Vierzon Cher. 1793 est l’année de la mort de Marie Anne de Sarrazin.
Une charge plutôt honorifique que rémunératrice.
Le 5 mai 1773 Gabriel est reçu « Lieutenant des Maréchaux de France » pour Issoudun, ville royale3. Cette charge est plus un titre honorifique qu’un véritable métier. Son revenu est misérable. Elle consiste en l’observation d’un « tribunal du point d’honneur » qui réglait les différents entre nobles depuis les interdictions de duels en 1566.
Il y avait obligation d’être noble et militaire, sauf dispenses qui pouvaient être accordées par un Maréchal de France. Nous ne connaissons pas le nom du Maréchal qui soutint la candidature de Gabriel, mais il devait être en position très proche du Roi car en dehors d’être un vrai noble, Gabriel n’était pas un « vrai » militaire.
La charge de lieutenant des Maréchaux est abolie en 1790.
Remarquons, en passant, que la famille Rochefort a souvent bénéficier de très hautes protections.
Dans son livre « Les Aventures de ma vie », Henri Rochefort, arrière petit fils de Gabriel, écrit : « sa droiture lui avait valu, sous Louis XV, le titre presque glorieux de lieutenant des maréchaux de France et de juge du point d’honneur, dignité qui obligeait les duellistes à s’abstenir de croiser le fer tant qu’il ne leur avait pas donné l’autorisation «. Cette information à destination de ses lecteurs ne manque pas de piquant quand on sait que Henri fut l’homme aux 30 duels (et 40 procès !!).
Gabriel de Rochefort, franc-maçon « provisoire ».
L’année 1778 vit la naissance à Issoudun (Indre) d’une loge maçonnique qui prit le titre de « Les Sectateurs de la Vertu de Saint Jean d’Ecosse ». Nous trouvons parmi ses membres, Rémy Tourangin (mercier drapier), Heurtault du Mez (maire d’Issoudun ancien régime), Jean Claude Charlemagne (maire d’Issoudun pendant la révolution), de Saint Léger, Adrien Dalmais de Curnieux et notre Gabriel (R. Durandeau-Francs Maçons du Berry-1990). Cette loge ne durera qu’un an.
Un révolutionnaire sans avenir.
A partir de 1789, les nuages de la Révolution commencent à apparaître. Mais sans doute notre Gabriel y voit la chance de jouer un role à la mesure de son nom car en 1792 nous le trouvons chantant autour de l’arbre de la liberté de Lury avec les citoyens patriotes. Il va recevoir les attributs « d’officier municipal » au cours d’une séance de l’assemblée des citoyens de la ville de Lury du 28 novembre 1790. Dans les documents d’archives que nous possédons, il signe « Rochefort, officier municipal ».
En 1791, Gabriel est nommé administrateur de L’Hôtel Dieu d’Issoudun où il recevra l’évêque constitutionnel Héraudin. Mais une loi est votée en l’an IV interdisant toute fonction publique aux parents d’émigrés. Comme son fils François Louis Lucas est émigré, il respectera la légalité et présentera sa démission par deux lettres, l’une comme officier municipal et l’autre comme administrateur de l’Hotel Dieu. Voilà ce qu’écrit le conseil municipal dans son compte rendu : « Le Conseil, en acceptant ces démissions se fait un devoir de rendre hommage à la vérité en déclarant que le citoyen Rochefort a toujours rempli ses fonctions avec zèle et exactitude et arrête que pour lui témoigner ses regrets de ne plus le compter parmi ses membres, copie du présent procès-verbal lui sera envoyé par le citoyen maire »(Tausserat).
Tout va bientot devenir suspect. Le 22 mars 1793 on désarme Gabriel et on fouille le manoir des Tureaux ; La municipalité de Lury tente le 29 mars un dernier effort pres le directoire du district de Vierzon pour « sauver » Gabriel « contre le civisme duquel on n’a d’autres prétentions que sa qualité de ci-devant noble et de père d’un émigré « ((Arch. muni. de Lury)). Mais c’est en vain et l’on reçoit l’ordre de le porter sur la liste des suspects et bientôt celui de l’expulser de Lury, d’ou il se rendra à Vierzon dans les vingt-quatre heures y chercher un domicile ; en cas de résistance on le fera chercher par la gendarmerie nationale.
Cependant Gabriel avait compris que les affaires allaient mal pour lui et s’était échappé de Vierzon ; mais il est arrêté et jeté en prison à Issoudun (appeler Indreville) probablement en allant chercher des secours auprès de Dalmais de Curnieux, beau père de son fils René Philibert ; les scellés de la société populaire du district sont apposés aux Tureaux par Christophe Dyon, maire de Lury. Comme les prisons de l’époque ne sont pas « meublées », Gabriel écrira une lettre à son épouse pour qu’on lui livre un lit, une couverture, du linge et une chaise. Il sera libéré en décembre 1793 et reviendra à Vierzon.
Le 20 mai 1793 un tableau des fortunes du pays est dressé par la municipalité de Lury où l’on peut lire : « le citoyen ci-devant noble Rochefort, domicilié aux Tureaux, commune de Lury, ayant trois enfants dont deux mariés hors du département, est porté comme possédant un revenu présumé de 800 livres » ((Arch. Muni. de Lury)). Nous ne pouvons que constater que 800 livres de l’époque n’étaient pas suffisantes pour vivre décemment.
A partir de 1794 nous n’entendons plus parler de Gabriel Jean Dominique. Où habitait-il ? Que faisait-il ? Comment vivait-il ?
Malgré nos recherches il ne nous est pas possible de répondre à ces questions.
Gabriel va décéder le 20 novembre 1816 à l’hospice municipal de Vierzon et sera inhumé dans la fosse commune de cette ville. Son épouse Marie Anne de SARRAZIN-LAVAL décèdera le 10 avril 1793 au manoir des Tureaux, commune de Lury sur Arnon. Nous supposons qu’elle fût aussi mise en fosse commune à Lury.
Le couple Gabriel de Rochefort et Marie Anne de Sarrazin Laval aura 5 enfants :
- René Philibert de Rochefort (1760 à Coulanges- 1825 à Bourges). Il se marie le 27/02/1783 à Issoudun avec Catherine Brigitte Eulalie DALMAIS de CURNIEUX (1761-1816) fille du Baron de Curnieux, lieutenant des maréchaux de France à Issoudun. Les témoins sont Marie Adrien Dalmais (frère de l’épouse), François Louis de Rochefort (frère de l’époux), François Jousselin de Noray (cousin germain de l’époux) et Louis Pierre Billacier (curé de Lury). Ce couple aura un enfant Marie Cécile Constance de Rochefort-Luçay décédée après 1833 et dont nous n’avons pas retrouvé la trace. Elle est demanderesse d’une pension annuelle de 500 francs accordée sur la liste des pensionnaires de 18334.
René Philibert sera nommé bibliothécaire de la ville de Bourges en 1813 et sera licencié en 1819 à la suite d’une accusation de vols de livres. Ceci est très étonnant car on peut dire que ces Rochefort étaient des incapables mais pas des voleurs. Il laissa la bibliothèque dans un état pitoyable. Il habitait à Bourges au 8 bis rue Bourbonnoux. Sans instruction ni capacités particulières, il va « mendier » des subsides auprès de différentes institutions (voir photo d’une de ses lettres). Nous avons recensé aux Archives Nationales environ 18 lettres écrites d’une belle graphie. Il décède à Bourges le 1 octobre 1825.
- François Louis (Lucas), qui suit.
- Claude François (1766 – 1766), mort au berceau (9 mois).
- Marie Joséphine (1768 – 1768), morte au berceau (1 jour).
- Jean Louis René (1771 – 1772), mort au berceau (10 mois).